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« Vaterland », d’Anne Weber

Écrire l’identité allemande

 

Avec « Vaterland », l’auteure allemande Anne Weber part sur les traces de son arrière-grand-père, intellectuel prussien proche de Walter Benjamin. Elle écrit en filigrane le journal d’une quête identitaire.

 

Un roman des origines

L’écriture d’un livre peut relever de la nécessité intime : du besoin de solder un héritage difficile, par exemple. L’ouvrage « Vaterland » obéit à un impératif de ce genre. Son auteure, Anne Weber, a quitté l’Allemagne pour s'installer à Paris au début des années 1980.

Une distance sans doute indispensable pour prendre du recul vis-à-vis du pays mais aussi de la famille dont elle est issue. Communauté nationale, communauté familiale : l’une et l’autre sont pour Anne Weber des entités problématiques. Son grand-père paternel, « nazi convaincu », n’a jamais souhaité la rencontrer, car elle était le fruit d’une union hors mariage. Comment accepter le passé historique douloureux des Allemands quand on est amputé d’une partie de sa filiation ?

Pour mieux y réfléchir, Anne Weber prend un chemin singulier. Elle contourne ce qui semble relever de l’impensable – l’épisode nazi – et remonte jusqu’aux possibles racines du mal : la Prusse d’avant la guerre de 1914-1918, marquée par une culture autoritaire et belliciste. La figure que cherche à cerner l’auteure n’est pas son grand-père, mais bien son arrière-grand-père, Florens Christian Rang.

 

À la recherche de Sanderling

Friande des comparaisons entre êtres humains et volatiles, Anne Weber décide de renommer son aïeul Sanderling, du nom des bécasseaux qu’elle a « souvent vu courir au bord de l’eau, avançant et reculant au gré du ressac ». Un qualificatif parfaitement adapté à cet objet d’étude tantôt proche, tantôt distant, perdu dans « la broussaille du temps ».

« Vaterland » tente de répondre à la question suivante : qui était Sanderling ? Intellectuel torturé, l’homme vécut tiraillé entre fraternité chrétienne et prussianisme belliqueux. Pasteur philosophe, il était proche de Walter Benjamin et Martin Buber. Mais sa réflexion, restée inaboutie, tomba dans l’oubli. Il a laissé derrière lui des ébauches d’essais, conservées aux Archives Walter Benjamin, à Berlin, ainsi que quelques publications, dont un livre sur le carnaval traduit en français.

 

Comprendre le pays de ses pères

À travers son écriture très dense, sans chapitres ni pause, entrecoupée de fulgurances ironiques, Anne Weber livre une enquête passionnante sur ses origines et sur les racines du mal nazi. Décortiquant les écrits de son arrière-grand-père, elle en vient à se poser la question : les idéologies ont-elles quelque chose à voir avec les liens du sang ? Y a-t-il chez Sanderling une responsabilité dans l’idéologie mortifère défendue plus tard par l’un de ses fils ? L’auteure doit-elle de son côté se considérer comme dépositaire des idées des uns et des autres ?

Outre la finesse de son approche des problèmes liés à l’identité et l’hérédité, « Vaterland » vaut également par la justesse de la langue. Anne Weber possède la particularité d’être totalement bilingue. Elle traduit elle-même ses livres, du français à l’allemand ou de l’allemand au français, comme c’est le cas ici. D’abord publié dans sa langue maternelle sous le titre « Ahnen » (« Ancêtres »), le livre paraît aux éditions françaises du Seuil sous le nom « Vaterland ». Le terme signifie à la fois « patrie » et « pays des pères ». Une ambiguïté sémantique qui résume parfaitement la dualité de sa quête identitaire.