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Petite histoire des accents du français

 

Aigu, circonflexe, ou grave ?

 

L’emploi des accents, apparus à la Renaissance pour pallier les insuffisances scripturales du latin, a longtemps fait débat dans la langue française. Aujourd’hui, ce n’est plus leur usage qui soulève les passions… mais la crainte qu’ils disparaissent.

 

Mettre l’accent au bon endroit

En mettant l’accent ici et là, en l’omettant tout simplement, on peut vite changer le cours d’une histoire. Que « le voleur vole » semble, si ce n’est légal, du moins logique. Mais un accent aigu change la donne : voilà « le voleur volé ». L’anecdote paraît tout à coup moins banale : notre voleur est dupe… autant que dupé. Il aura suffi d’un accent aigu pour que la morale soit sauve.

On le voit : en français, les accents ne sont pas là pour faire joli. L’exemple précédent illustre la manière dont ils peuvent faire varier la prononciation d’une voyelle. Mais seul l’accent aigu se cantonne à cette unique fonction phonétique. Les accents grave et circonflexe ont une seconde utilité : ils permettent de distinguer à l’écrit des mots qui sonnent de façon strictement identique, comme « ou » et « où ».

Une invention de la Renaissance

Ces trois accents sont apparus progressivement dans la langue, quand les caractères du latin ont semblé insuffisants pour rendre compte à l’écrit de la diversité des sons du français. Les éditeurs-imprimeurs de la Renaissance décident alors d’utiliser des lettres « diacritiques », c’est-à-dire qui modifient la prononciation de la voyelle qui les précède.

À partir du XVIe siècle, pour apporter des précisions phonétiques, des signes sont ajoutés au-dessus des lettres d’un mot : c’est une véritable innovation par rapport au latin, qui ne comporte pas d’accent. Le premier à voir le jour est l’accent aigu, confiné d’abord à la toute fin des mots. Peu à peu l’usage du grave et du circonflexe se répand.

Ces nouveaux venus font quelques victimes : ils remplacent certaines lettres diacritiques, « eschole » ou « estre » devenant respectivement « école » et « être ». Le chapeau du circonflexe permet d’escamoter quelques hiatus (comme « âge » qui s’est longtemps écrit « aage »), pendant que le grave avale à l’occasion les doubles consonnes : « fidelle » se mue en « fidèle », « secrette » en « secrète ».

Quand les mots font débat

Mais l’adoption des accents est loin de faire l’unanimité. Dans la première moitié du XVIIe siècle, il est beaucoup moins fréquent d’y recourir que quelques décennies plus tôt. Comme souvent dès qu’il s’agit du bon usage de la langue française, les débats parmi l’élite sont passionnés. Dès 1663, l’écrivain Corneille défend un emploi extensif de l’accent grave. Publié pour la première fois en 1694, le prestigieux « Dictionnaire » de l’Académie française est plus réservé sur la question : il préconise de n’utiliser les accents que dans des cas de figure bien précis. Le e accent aigu n’a de place qu’à la fin d’un mot, par exemple.

Les passions sont-elles moins vives aujourd’hui ? Rien n’est moins sûr. En 1990, le Conseil supérieur de la langue française suggère de réduire l’usage de l’accent circonflexe. La proposition figure parmi un ensemble de mesures censées simplifier l’orthographe de la langue. Débats savants et polémiques outrancières se succèdent. Interrogé sur la réforme, le président de la République François Mitterrand déclare : « J’ai été saisi du projet, j’ai été un peu effrayé, et j’ai sauvé quelques accents… »

La réforme en question fait long feu ; le circonflexe et ses deux comparses sont saufs. À l’heure actuelle, le danger vient peut-être d’internet, où prévaut l’anglais. Les hispanophones commencent déjà à se mobiliser pour sauvegarder la diversité de leurs accents. Faudra-t-il faire de même pour le français ? Affaire à suivre.