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Culture

Le Corbusier, utopies et errements d’un Français d’adoption

 

Dans l’ombre comme dans la lumière, l’histoire de Le Corbusier est étroitement liée à celle de la France. Alors que le Centre Pompidou lui consacre une exposition jusqu’au 3 août, portrait de celui qui fut le plus grand architecte de son temps.

 

Le Corbusier, français d’adoption

« Adieu, mon vieux maître et mon vieil ami. Bonne nuit… » Le 1er septembre 1969, André Malraux termine sur ces mots l’oraison funèbre de Charles Édouard Jeanneret, dit Le Corbusier. Dans la cour du Louvre, la France rend ce jour-là hommage à un enfant adopté. Né citoyen helvétique en 1887, celui que l’on considère comme le père de l’architecture moderne est devenu français en 1930. Plus qu’une simple nationalité, c’est le destin du pays tout entier qu’embrassa Le Corbusier dans un début de XXe siècle chaotique.

 

L’architecture comme second choix

Adolescent, Charles Édouard Jeanneret se destine à l’horlogerie, et plus précisément au métier délicat d’émailleur de cadran qu’exerce son père dans le Jura suisse. Il y renonce lorsqu’il perd l’usage d’un œil. Il se passionne alors pour la peinture : il s’y adonnera sa vie durant. Mais finalement, c’est vers l’architecture qu’il s’oriente en 1904, à l’âge de 17 ans.

Dans les dix années qui suivent, il parcourt l’Europe. De passage à Paris en 1909, il travaille un temps comme dessinateur chez les frères Perret, industriels du bâtiment et spécialistes du béton armé. Il fait la connaissance d’Auguste, dernier né de la fratrie. Celui-ci deviendra l’un des architectes de la France reconstruite à la suite de la seconde guerre mondiale.

 

 

Des débuts incertains

En 1914, celui qui ne s’appelle pas encore Le Corbusier s’établit finalement comme architecte dans sa ville natale, La Chaux-de-Fonds. Il dessine son premier projet visionnaire : Dom Ino. Trois dalles de béton superposées soutenues par six colonnes et jointes par une cage d’escalier. Le tout constitue l’ossature d’une maison modulable à l’envie, bon marché et conçue pour une production à la chaîne. Le concept est pensé pour les populations déplacées des villes bombardées des Flandres et du nord de la France. Mais le succès n’est pas au rendez-vous. Jeanneret vivote pendant trois ans de petites commandes avant de partir s’installer à Paris en 1917.

 

Le purisme, l’ordre et le Corbusier

Il fait via Auguste Perret la rencontre du peintre Amédée Ozenfant. Ensemble, les deux hommes théorisent le purisme. Un mouvement artistique qui prône le retour à l’ordre, la sobriété en réaction à la dérive cubiste. Les manifestes puristes que l’architecte signe du pseudonyme Le Corbusier connaissent un certain succès.

En parallèle, il s’installe avec son cousin Pierre Jeanneret dans l’agence du 35 rue de Sèvres : il ne la quittera qu’à sa mort. Le Corbusier est né. Les années 1920 le voient devenir une figure importante de l’architecture. Il initie en 1928 le premier Congrès international d’architecture moderne. Parmi ses nombreuses créations de l’époque, la Villa Savoye à Poissy incarne au mieux son style avant-gardiste et épuré. Les pilotis et le toit-terrasse de la villa seront des éléments récurrents du style corbuséen.

 

De Moscou à Vichy

Plus qu’architecte, Le Corbusier se veut urbaniste. En héritier de l’hygiénisme du siècle précédent, il rêve de raser les villes insalubres de l’entre-deux-guerres pour faire place à des cités modernes, propres et ordonnées.

Ces ambitions le rapprochent des pensées totalitaires. Il participera d’ailleurs dès la fin des années 1920 à la rédaction de magazines ouvertement fascistes comme Le Faisceau, Plans, ou Préludes. Après avoir dessiné des plans pour Moscou en 1931, il n’hésite pas dix ans plus tard à proposer ses services au gouvernement de Vichy. En vain. À la Libération, il ne doit d’échapper à l’épuration qu’à son amitié avec André Malraux.

 

Reconstructeur utopique

Dans la France en reconstruction, certaines des composantes de la ville moderne de Le Corbusier voient finalement le jour. C’est le cas de la Cité radieuse, inaugurée en 1952 à Marseille. Dans cet immeuble sur pilotis de 17 étages se cache une ville miniature : elle se compose de 360 appartements, d’une galerie commerciale, et d’un toit-terrasse sur lequel une école maternelle jouxte une piscine.

À travers le monde, on apprécie sa modernité et son sens de l’utopie. Le gouvernement indien lui confie la planification de la ville nouvelle de Chandigarh. Le Corbusier participera également à la construction du siège des Nations unies, symbole s’il en est de l’espoir placé en cette deuxième moitié de siècle.

 

 

Le Corbusier, un destin français

De la Grande Guerre à la création des Nations unies en passant par Vichy, l’histoire de Le Corbusier est celle de la France. Tour à tour avant-gardiste, fasciste, moderniste ou utopiste, cet architecte de génie épousa le destin de son pays d’adoption dans l’ombre comme dans la lumière. Il le fit rayonner plus qu’aucun autre en son temps. « L’architecture moderne a perdu son plus grand maître », déclarait le Kremlin à l’heure de sa mort. Et la Maison Blanche de faire écho. « Son influence était universelle, et ses travaux sont chargés d’une pérennité qu’ont atteinte peu d’artistes de notre histoire… »

 

Crédits photographiques : ©m-louis (bandeau carrousel) / Centre Pompidou (image texte)