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L’anagramme

Jongler avec les lettres

 

L’anagramme est un jeu de mots qui consiste à permuter toutes les lettres d’un mot ou d’un groupe de mots pour en créer d’autres. « Beau » et « aube » sont des anagrammes, tout comme « Albert Einstein » et « Rien n’est établi ».

 

Un jeu à travers les siècles

L’anagramme a probablement été inventée dans l’Antiquité par le poète grec Lycophron. Au XVIe siècle, elle devient un jeu à la mode avec l’humanisme et les poètes de la Pléiade. Au XXe siècle, le surréalisme et l’Oulipo s’emparent à leur tour de ce jeu de lettres : il peut donner lieu à de nombreuses fulgurances poétiques.
L’anagramme permet aussi quelques règlements de compte entre gens cultivés. Dans les années 1940, le pape du surréalisme André Breton voulait moquer la cupidité de Salvador Dali : il transforma le nom du peintre espagnol en « Avida Dollars »… À l’inverse, l’anagramme peut se faire cri d’amour. Pour lancer une pétition contre la dispersion aux enchères des manuscrits et dessins du même André Breton, plusieurs écrivains proclament : « Te brader, non ! »
Aujourd’hui, le Scrabble® est la forme la plus populaire du jeu de l’anagramme. L’une des émissions les plus anciennes de la télévision française, « Des chiffres et des lettres », repose en partie sur ce même principe. Preuve qu’il n’est pas nécessaire d’être grand poète pour s’amuser à (dé)composer les mots.

 

L’art de la dissimulation

Code secret d’usage facile, l’anagramme sert à crypter une information. Derrière un pseudonyme anagrammatique, un écrivain peut garder l’anonymat… sans renoncer entièrement à son identité, puisque les lettres de son nom restent visibles. Pris dans la tourmente politique de la Réforme, François Rabelais (mort en 1553) a publié plusieurs livres sous le nom d’auteur « Alcofribas Nasier ».

Affranchie des règles de la grammaire et de l’orthographe, la « langue des oiseaux » ou « langue des anges » repose sur le détournement d’une langue existante – le français, mais aussi le latin ou le japonais – grâce à divers procédés de codification. Les anagrammes rentrent en grande partie dans sa composition : elles donnent à un message l’apparence de l’absurde pour mieux en réserver la teneur à quelques initiés.

Au Moyen Âge, la langue des oiseaux permettait aux alchimistes de se transmettre leurs secrets de fabrication. François Villon (1431-1463), Rabelais ou Cyrano de Bergerac (1619-1655) ont également utilisé cette langue pour masquer la dimension ésotérique de leurs œuvres.

 

L’inconscient : grand joueur de scrabble ?

Au même titre que le lapsus, l’anagramme est considérée en psychanalyse comme une des formes d’expression de l’inconscient. Certains courants psychanalytiques prêtent une grande attention à ce type de jeux de mots qui surgissent notamment dans nos rêves.

Selon les disciples du psychanalyste français Jacques Lacan (1901-1981), l’anagramme offrirait une piste pour décoder les messages que nous envoie notre inconscient. Celui-ci, plus rapide que la pensée consciente, serait capable de fournir instantanément une anagramme plus ou moins parfaite. Tiraillé par la faim devant un bâtiment superbe, on pourra s’exclamer « quelle belle charcuterie » au lieu de « quelle belle architecture »…

Mais la vie n’étant pas une partie de scrabble, attention à ne pas tout surinterpréter !

Crédits : ©Les Champs libres